Rémy Herrera*
(mardi 30 avril 2019)
C’était initialement le 15 avril que le président Macron devait prononcer son discours télévisé destiné à répondre aux revendications des gilets jaunes et à présenter ses mesures tant attendues. Ce périlleux exercice lui fut épargné in extremis par le terrible incendie de la cathédrale Notre-Dame – propriété d’un État qui délaisse depuis des lustres ses trésors nationaux et chef d’œuvre du patrimoine culturel de l’humanité qu’un vague chef de l’État se révéla incapable de protéger.
Juste après le 15, plusieurs des propositions présidentielles avaient fuité. Suivant les consignes émanant de l’Elysée, les médias firent monter le suspens, à la manière de slogans de campagnes publicitaires : « il y aura un avant et un après », « rien ne sera plus comment avant », « surprise en vue »… Qu’y avait-il donc à espérer d’un président de la République qui annonça mi-janvier, lors du lancement de son « Grand Débat national », qu’il ne changerait pas de cap ?
Ce fut dans l’après-midi du 25 avril que la fluette silouhette de sa Majesté fit son show, devant un parterre de ministres et d’obligés, tout sourire, courbettes et dos voûtés des valets de la haute finance. Pour qui eut précédemment le désagrément de subir l’une des allocutions de l’actuel président français, l’habitude est prise : ce dernier, ancien apprenti comédien, est coutumier de phrases au lyrisme si emphatique et surjoué, d’expressions si désuettes et abracadabrantes, de formules si creuses, ambigües, perverties, tellement mensongères au fond, que nul ne comprend précisément ni surtout ne croit plus un traître mot de ce qu’il dit. Nous en sommes là – et las.
Face à l’urgence écologique, que propose le président de la République française ? Le respect de l’Accord de Paris 2015 sur le climat ? Des financements ? Une lutte frontale contre les lobbys d’industriels pollueurs ? Pensez donc ! Plus opportun : la création d’un « Conseil de défense de l’environnement » ! Renoncement honteux, criminel ! Les écologistes, les « marcheurs pour le climat » et tous les militants de « L’Affaire du siècle » (campagne organisée par un collectif d’associations ayant rassemblé plus de deux millions de signataires et attaqué l’État en justice pour son inaction dans la lutte contre le réchauffement climatique) n’ont pas fini de manifester !
Face à l’exigence de démocratie et de participation, la solution choisie par Emmanuel Macron ? Le référendum d’initiative citoyenne, revendication des gilets jaunes et dispositif de démocratie directe permettant aux citoyens de saisir la population par référendum sans accord de l’exécutif ou du législatif ? Non ! Un référendum d’initiative locale (qui existe déjà depuis 2003), une dosette de scrutin proportionnel pour élire les députés et la suppression annoncée de l’École nationale d’Adminsitration (que remplaceront bientôt les écoles de commerce [privées !])… Aucun progrès dans les entreprises, dans la fonction publique. L’oligarchie a peur du peuple !
Quelque chose en faveur du pouvoir d’achat ? Non ! Pas d’augmentation du salaire minimum, ni des allocations familiales, ni des autres aides sociales. Rien du tout alors ? Si : un coup de pouce pour que les « mères isolées », élevant seules leurs enfants, puissent percevoir la pension alimentaire due par leur ex-conjoint. Macron a sans doute oublié qu’une loi (votée en 2016, visiblement non appliquée) existe déjà à ce sujet ! Et surtout aucune aide prévue à destination des femmes seules qui sont le plus dans le besoin : celles auxquelles le père de leur(s) enfant(s) a l’élégance de ne pas verser de pension alimentaire pour élever leur progéniture !
Les retraites ? Le président les a fait médiocrement rogner depuis près de deux ans, leur faisant perdre 6 % de pouvoir d’achat. En annonçant la réindexation sur l’inflation des seules pensions inférieures à 2000 euros par mois (est-ce constitutionnel ? car la retraite est un droit universel issu du versement des cotisations au long de la carrière), Macron ne fait que rendre aux retraités une maigre part de ce qu’il leur a volé. Il clâme que pas un retraité ne percevra mensuellement moins de 1000 euros. Le minimum vieillesse étant actuellement à 962 euros, cette générosité correspond à 38 euros supplémentaires par mois ! Pourtant, une loi existante stipule déjà que la retraite plancher doit dépasser 85 % du salaire minimum, soit 1 175 euros. Chercher l’erreur…
Et la fiscalité ? Allait-on rétablir – comme neuf Français sur 10 le souhaitent – l’impôt sur les grandes fortunes ? Alourdir les prélèvements sur les ultra-riches, en introduisant, par exemple, de nouvelles tranches de l’impôt sur les revenus des personnes physiques pour les contribuables les plus aisés ? Ou supprimer la taxe sur la valeur ajoutée des produits de première nécessité ? Ou encore traquer enfin la fraude fiscale ? Vous rigolez ! Alors quoi ? Le président a répondu. Ce sera un rapport commandé (pour l’automne) à la Cour des Comptes sur l’optimisation fiscale sans qu’aucune mesure ne soit prise avant cela ; et l’annulation de « quelques niches fiscales pour les entreprises », en maintenant le « Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi » – la plus grosse niche fiscale offerte par l’État capitaliste aux gros capitalistes français (20 milliards d’euros par an, plus autant de milliards en baisse de cotisations sociales). Merci Macron !
Soyons complets. Il y aura également une diminution de l’impôt sur les revenus (IRPP) « pour tous ». Problème : moins de 50 % des Français paient cet impôt – qui est pourtant le plus juste de tous, car fonction des rémunérations perçues, relativement progressif et direct (contrairement à la TVA) et – cas tout à fait exceptionnel – comparativement plus bas en France (3,5 % du PIB) qu’ailleurs en Europe ou dans l’OCDE. Les 55 % de Français qui ne paient pas l’IRPP sont principalement les plus pauvres… Lesquels ne bénéficieront donc pas de baisse d’impôts !
Le mouvement des gilets jaunes s’est à l’origine mobilisé contre la hausse des taxes prélevées sur les carburants. Au jour d’aujourd’hui, le prix de l’essence est au plus haut en France ; l’automobile est le consommateur le plus taxé et, entre dépenses d’entretien, primes d’assurance et contrôles techniques, le budget voiture a augmenté de plus de 10 % sur les 12 derniers mois.
Ces annonces de Macron ne répondent en rien aux attentes profondes des gilets jaunes, comme du peuple français dans son ensemble. Elles entendent bien plutôt consolider le bloc électoral de droite et de centre-droit sur lequel s’appuie à l’heure actuelle le président de la République. Elles n’éteindront pas les colères. D’autant que la poursuite des « réformes » est reconfirmée : retraites, fonction publique, allocations chômage… Avis de tempête pour les prochains jours !
*chercheur au Centre national de la Recherche scientifique (CNRS).